Tartamella c. R., 2017 QCCA 955

Il est bien établi qu’une opinion d’expert n’est pas offerte pour prouver la véracité des éléments sur lesquels elle se fonde.

[18]        Il est bien établi qu’une opinion d’expert « n’est pas offerte pour prouver la véracité des éléments sur lesquels elle se fonde » : R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 24, 43, reprenant R. c. Wilbrand, 1966 CanLII 3 (SCC), [1967] R.C.S. 14, 21. L’arrêt Abbey a été rendu dans le contexte d’un procès alors que l’arrêt Wilbrand découle d’une requête pour déclaration de délinquant dangereux. Malgré le contexte juridique un peu différent de ces deux affaires, le principal intéressé n’avait pas témoigné et, dans chacune, l’expert avait notamment puisé ses informations lors d’entrevues cliniques avec lui, mais aussi auprès de tiers, à partir d’une documentation pénitentiaire ou médicale, des éléments d’information qui n’avaient pas autrement été prouvés. Ce fut le cas également dans l’arrêt R. c. Lavallee, 1990 CanLII 95 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 852. Dans ces affaires, le témoignage de l’expert a été autorisé.

[19]        Dans l’arrêt R. c. Lupien, 1969 CanLII 120 (CSC), [1970] R.C.S. 263, à la page 273, le juge Ritchie exprime clairement que la psychiatrie appuie souvent son opinion sur des informations obtenues en marge du procès, ce qui affecte sa valeur probante et pas son admissibilité :

À mon avis, le fait que les procédés employés par le psychiatre pour se former une opinion dépendent nécessairement d’informations obtenues de l’intimé ou d’autres personnes, hors la présence du jury, ne rend point cette opinion irrecevable, bien qu’il puisse être un facteur à prendre en considération en évaluant la force probante de cette opinion. S’il en était autrement, les tribunaux seraient privés d’un nombre important d’opinions médicales fondées sur des méthodes cliniques de diagnostic.

[20]        Qui plus est, le juge Dickson, pour la Cour dans l’arrêt R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 24, reprenait à son compte, à la page 43, les propos suivants du juge en chef Gale : « if an expert is permitted to give his opinion, he ought to be permitted to give the circumstances upon which that opinion is based » : R. c. Dietrich (1970), 1970 CanLII 377 (ON CA), 1 C.C.C. (2d) 49 (C.A.O.).

[21]        Dans l’arrêt R. c. Lavallee, 1990 CanLII 95 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 852, la Cour précise que si l’opinion de l’expert se fonde sur quelque élément de preuve, il n’est pas nécessaire que tous les faits au soutien de l’opinion soient prouvés. Il s’agit d’un facteur touchant la valeur probante du témoignage. Voici ce qu’écrit la juge Wilson à la page 896, passage auquel souscrit le juge Sopinka à la page 900 :

À mon avis, tant qu’il existe quelque élément de preuve admissible tendant à établir le fondement de l’opinion de l’expert, le juge du procès ne peut par la suite dire au jury de faire complètement abstraction du témoignage. Le juge doit, bien sûr, faire comprendre au jury que plus l’expert se fonde sur des faits non établis par la preuve moins la valeur probante de son opinion sera grande.

[22]        La Cour reconnaît cependant qu’un témoignage d’expert fondé sur des éléments dont la preuve n’est pas faite comporte le danger corollaire voulant que le juge des faits les considère comme prouvés ou véridiques : R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 24, 44. C’était d’ailleurs l’erreur qu’avait commise le juge dans cet arrêt.

[23]        Dans un procès par jury, ce danger peut être écarté par une directive lui indiquant qu’il ne devait pas se fonder sur des déclarations de l’accusé reçues notamment lors d’entrevues cliniques et qui sont équivalentes à du ouï-dire « pour établir la véracité des faits et qu’il y avait lieu d’en tenir compte pour déterminer le poids à accorder au témoignage des experts » : R. c. Giesbrecht, 1994 CanLII 96 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 482.

[24]        L’appelant a raison sur un point. Il est juste de dire que l’experte Allard pouvait relater les éléments sur lesquels reposait sa décision. Un expert doit témoigner sur le tout dès lors que « le juge-gardien exerce son pouvoir discrétionnaire en soupesant les risques et les bénéfices éventuels que présente l’admission du témoignage, afin de décider si les premiers sont justifiés par les seconds » : White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 182, par. 24.

[25]        Cela dit, c’est principalement, voire uniquement, la directive immédiate qui est attaquée en appel. Or, le juge applique correctement le droit en indiquant au jury que les propos rapportés ne doivent pas être considérés comme prouvés. En disant au jury qu’ils se sont engagés à rendre un verdict sur la preuve et non pas sur des éléments extrinsèques à celle-ci, le juge les invitait à ne pas conclure que « pendant la semaine qui a suivi le vingt-huit (28) octobre, [l’appelant] avait plein de flash-back ». Tout ceci est correct en droit.

[26]        Le juge ne dit pas au jury que cette preuve ne peut pas faire partie des éléments dont peut tenir compte l’experte pour former son opinion. Sa directive immédiate ne comportait aucune indication sur la façon dont le jury pouvait utiliser cette preuve pour évaluer l’opinion de l’experte, puisque tel n’était manifestement pas l’objectif à ce stade. Cette directive sera donnée dans le cadre des directives finales qui ne sont pas, à bon droit, remises en cause.

[27]        En somme, le juge avait raison de dire au jury que les propos de l’appelant à l’experte n’étaient pas prouvés et qu’ils constituaient du ouï-dire sous ce rapport. Avec les directives finales, le jury a nécessairement compris qu’il pouvait en tenir compte pour évaluer la valeur probante du témoignage d’expert de la manière indiquée.