R. c. Simoneau, 2017 QCCA 1382

[8] Ordonner un dédommagement est une modalité de la peine qui doit, au final, respecter les principes de totalité et de proportionnalité. Imposée avec prudence, elle est toujours envisagée dans les cas appropriés et, parfois, les circonstances sont si criantes que le juge devra expliquer pourquoi il ne la prononce pas.

[18] Lorsqu’une ordonnance de dédommagement est envisagée, la capacité de payer est toujours un facteur pertinent, mais elle n’est pas toujours déterminante : R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1005 et R. c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940.

[19] Ce principe demeure à ce jour, même si le législateur n’en fait pas une considération obligatoire, comme le souligne le juge Fish pour la Cour dans l’arrêt R. c. Topp, 2011 CSC 43 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 119, par. 38.

[20] Le fardeau de démontrer l’absence de capacité de payer échoie aussi au délinquant, particulièrement lorsqu’il doit expliquer où sont passées les sommes détournées : R. c. Castro, 2010 ONCA 718 (CanLII), par. 33-34; R. c. Johnson (2011), 2010 ABCA 392 (CanLII), 265 C.C.C. (3d) 443, par. 23-24 (C.A.A.).

[21] La juge Weiler explique qu’un juge ne doit accorder aucun poids à la simple affirmation du délinquant que l’argent volé n’est plus disponible. Au paragraphe 34 de l’arrêt Castro, elle écrit :

[34] Ability to pay must take into consideration what disclosure has been made respecting where the money is or has gone. Depriving the offender of the fruits of his crime is one of the overarching goals of making a restitution order: … In cases of theft, robbery, fraud, breach of trust or the like, I see no reason why the court should accept an offender’s bald assertion that he or she has no ability to make restitution because the money « is gone » when no evidence is proffered in support of this assertion. When the victims can clearly establish that « the replacement value of the property » under s. 738(1)(a) is the amount of money taken, surely it is the offender asserting that he or she has no ability to make restitution who is in the best position to provide transparency concerning what has happened to that money. A bald assertion that the money is gone should be given no weight. Similarly, when the location of the money illegally obtained by the offender is unknown, the sentencing judge is entitled to take that fact into account with respect to ability to pay in making a restitution order…

(notes omises)

[22] Je partage entièrement ces propos. Lorsque les fruits du crime se sont volatilisés ou qu’ils sont toujours accessibles ou encore que le délinquant ne démontre pas qu’ils ne lui ont pas profité, il devient plus difficile d’ignorer l’ordonnance de dédommagement.

[23] Comme l’écrivait le juge Baudouin, le dédommagement « … vise cependant aussi à priver le voleur, le fraudeur ou celui qui, par sa conduite criminelle, a causé un dommage ou la perte d’un bien, du produit de son crime en permettant à la victime de le reprendre ou de récupérer totalité ou partie de la valeur » : Oerlikon aérospatiale inc. c. Ouellette, 1989 CanLII 1128 (QC CA), 1989 CanLII 1128 (C.A.Q.); R. c. Devgan, 1999 CanLii 2412 (C.A.O.); R. c. Castro, 2010 ONCA 718 (CanLII).

[24] Compris et interprété dans son contexte, c’est-à-dire la détermination de la peine, cet énoncé est juste.

[25] On peut d’ailleurs se demander pourquoi les juges ne recourent pas plus souvent à cette mesure qui vise directement les personnes de la collectivité les plus affectées par l’acte délictueux. Il y a de bonnes raisons de le faire prudemment, mais une fois cela dit et les circonstances bien évaluées, la mesure devrait être utilisée. Le législateur exige d’ailleurs que cette mesure ait priorité sur la confiscation et l’amende : art. 740 C.cr.

[26] Puisque l’appelante plaide l’impact de certaines modifications législatives, il faut brièvement s’y arrêter. Ces modifications, introduites au Code criminel par la Loi sur la Charte des droits des victimes, L.C. 2015, c. 13, sont entrées en vigueur le 23 juillet 2016 : art. 60. Si elles cherchent manifestement à remettre à l’avant-plan le dédommagement, elles n’en modifient toutefois pas les facteurs pertinents à considérer.

[27] Ainsi, sur le plan de la capacité de payer, le nouvel article 739.1 C.cr. prévoit que « [l]es moyens financiers ou la capacité de payer du délinquant n’empêchent pas / [t]he offender’s financial means or ability to pay does not prevent » un juge d’ordonner le dédommagement. Ceci est conforme au droit existant.

[28] Cette même loi introduit l’article 737.1 C.cr. qui impose dorénavant au juge l’obligation d’envisager l’ordonnance, l’obligation de s’assurer que la victime a eu l’occasion de la demander et d’envisager un ajournement pour lui permettre de le faireà partir du formulaire prévu dans la loi. Enfin, il oblige le juge à motiver sa décision de ne pas ordonner un dédommagement si la victime l’a demandé. Cette série d’obligations inscrites dans la loi est certainement nouvelle, mais elle colle parfaitement aux enseignements de la jurisprudence.

[29] Ici, contrairement à ce que plaide l’appelante, seule une partie des transactions se situe après la date d’entrée en vigueur et donc cette seule portion est touchée par les modifications législatives. En effet, la loi prévoit qu’elles sont applicables aux infractions commises au jour ou après son entrée en vigueur : Loi sur la Charte des droits des victimes, L.C. 2015, c. 13, art. 44; R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655 (CanLII), par. 15.

[30] En vertu du nouvel article 737.1 C.cr., le juge qui inflige la peine est tenu d’envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement et il doit s’enquérir auprès du ministère public des mesures prises pour assurer que la victime se manifeste à cet égard. Il peut alors ajourner les procédures pour le faciliter si cela ne nuit pas à la bonne administration de la justice. Si le juge ne prend pas l’initiative, le ministère public, qui peut aussi demander cet ajournement, me semble avoir l’obligation corolaire de l’alerter quant à ces obligations. En outre, lorsqu’un rapport présentenciel est ordonné ou que pour une autre raison la détermination de la peine est reportée, le ministère public devrait en principe faire des démarches concrètes auprès de la victime. Le fait qu’elle soit une personne morale n’y change rien.

[31] Cependant, l’impact de ces modifications est négligeable en l’espèce puisque, comme mentionné, celles-ci ne modifient pas, sur le fond, le droit existant.

[32] Certes, la Cour suprême a bien dit que l’ordonnance de dédommagement doit être prononcée avec circonspection : R. c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940. Cette prudence, qui appelle avant tout une bonne évaluation des circonstances, n’a pas empêché la Cour suprême d’affirmer que la mesure mérite d’être envisagée « dans la détermination de la peine de tous les contrevenants » lorsque c’est possible, incluant même dans le cas d’un failli non libéré : R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1005, p. 1014. Le nouvel article 739.1 C.cr. va dans le même sens.

[33] En effet, circonspection ne signifie pas parcimonie.

[34] Dans son livre De la détermination de la peine : Principes et Applications, Markham, Lexis Nexis Canada inc., 2007, p. 151, Me François Dadour fait bien ressortir les préoccupations de la Cour suprême dans Zelensky :

Si l’ordonnance de dédommagement fait partie de la peine, elle demeurera cependant tributaire du pouvoir discrétionnaire du juge d’instance. Ce pouvoir doit être exercé avec circonspection, pour les raisons évoquées dans l’extrait suivant :

Il faut cependant garder à l’esprit un autre aspect de l’art. 653. Le pouvoir de rendre une ordonnance de dédommagement dans le cours du processus de sentence est discrétionnaire. J’estime qu’avant de l’exercer, la Cour doit se demander si la personne lésée invoque l’art. 653 pour aggraver les sanctions contre le coupable aussi bien que pour son propre bénéfice. Il est pertinent de savoir si elle a intenté des procédures civiles et, dans l’affirmative, si elle les continue. D’autres facteurs influent également sur l’exercice de ce pouvoir: les moyens du coupable ou la durée probable des procédures d’évaluation de la perte par la cour criminelle, bien qu’à mon avis, l’art. 653 n’exige pas une mesure exacte. Un plaidoyer de culpabilité facilitera manifestement la tâche de la Cour si on lui demande une ordonnance de dédommagement, mais rien n’interdit d’essayer de parvenir à une entente sur le montant de la perte lorsque la condamnation fait suite à un plaidoyer de non culpabilité. Il est vraisemblable, bien sûr, que la probabilité d’un appel milite contre une entente, mais j’ajouterai qu’il n’entre pas, à mon avis, dans les fonctions de la cour criminelle d’imposer une entente pour lui permettre de rendre une ordonnance de dédommagement. En somme, sauf sur la question de la constitutionnalité, je partage l’opinion du juge Matas selon lequel une ordonnance de dédommagement ne doit être rendue qu’avec circonspection.

(Soulignement ajouté)

[35] Les circonstances dont fait état la Cour suprême et qui interpellent la prudence exigée sont en partie neutralisées par les principes qui encadrent la mesure. Le processus d’évaluation des dommages ne doit pas être lourd. Ainsi, si le montant du dédommagement n’a pas à être exact, il doit cependant être facilement quantifiable : art. 737.1(2) in fine, 738(1)a)b) et c) in fine C.cr. et R. c. Boutin, 1994 CanLII 6197 (QC CA), 1994 CanLII 6197 (C.A.Q.); R. c. Semeniuk (2004), 2004 BCCA 233 (CanLII), 184 C.C.C. (3d) 571, par. 10-11 (C.A.C.-B.); R. c. Ghislieri (1981), 1980 ABCA 331 (CanLII), 56 C.C.C. (2d) 4 (C.A.A.); R. c. Popert (2010), 2010 ONCA 89 (CanLII), 251 C.C.C. (3d) 30 (C.A.O.).

[36] Les tribunaux criminels ne doivent pas se substituer aux tribunaux civils et le processus de détermination de la peine n’est jamais le bon forum pour établir des dommages sérieusement contestés ou juridiquement plus complexes : R. c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940; R. c. Popert (2010), 2010 ONCA 89 (CanLII), 251 C.C.C. (3d) 30, par. 42 (C.A.O.).

[37] L’inquiétude de la Cour suprême sur la durée probable des procédures d’évaluation est légitime. À cet égard, la jurisprudence reconnaît qu’à moins de dommages facilement quantifiables, le juge doit laisser les tribunaux civils trancher l’affaire. Le juge doit d’ailleurs être informé, en principe, de l’existence ou non d’un tel recours, ce dernier étant pertinent à sa décision : R. c. Boutin, 1994 CanLII 6197 (QC CA), 1994 CanLII 6197 (C.A.Q.).

[38] Il faut ajouter que seuls les dommages précisés dans l’article 738 C.cr. peuvent être indemnisés : voir R. c. Devgan, 1999 CanLII 2412 (ON CA), 1999 CanLII 2412. Il n’est pas toujours possible ou facile d’établir rapidement les sommes spoliées ou autres pertes précisées. Plus retreints par nature dans les premières versions de l’article, certains dommages qui y figurent maintenant soulèvent d’emblée des inquiétudes quant à cette exigence, qui est par ailleurs fondamentale. En effet, la mesure n’est jamais une alternative ou un substitut à la procédure civile, la hauteur du dommage facilement déterminable ne faisant que guider le dédommagement incorporé à la peine. Dans l’arrêt R. c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940, le juge en chef Laskin écrit à la page 963 :

L’article 653 ne prévoit aucune procédure pour résoudre un conflit relatif au montant; sa procédure est, ex facie, sommaire, mais je ne crois pas que cela empêche le juge de première instance de faire enquête pour établir le montant du dédommagement, dans la mesure où cela peut se faire rapidement et sans que les procédures de sentence prennent la tournure d’un procès civil ou d’un renvoi dans une procédure civile. L’essentiel est de limiter l’art. 653 à ce qui fonde sa validité, c’est-à-dire son étroite association au processus de sentence, et d’éviter ainsi toute possibilité d’ingérence dans la compétence législative provinciale en matière de propriété et de droits civils dans la province. Bien que, comme je l’ai déjà dit, les tribunaux aient reconnu la vaste étendue du pouvoir fédéral relativement au droit criminel et à la procédure criminelle et bien que les tribunaux qui prononcent les sentences puissent maintenant imposer une grande variété de sanctions aux coupables, il n’en reste pas moins vrai que l’on ne peut recourir au droit criminel pour déguiser un empiétement sur le pouvoir législatif provincial…

(je souligne)

Le juge peut établir un montant moindre quant à l’ordonnance de dédommagement, à la fois pour respecter le principe de la totalité de la peine ou pour fixer le montant de la perte, même partielle, qui découle avec certitude du crime, portion facilement quantifiable

[39] À cet égard toutefois, dans l’exercice de sa discrétion, le juge peut établir un montant moindre, à la fois pour respecter le principe de la totalité de la peine ou pour fixer le montant de la perte, même partielle, qui découle avec certitude du crime, portion facilement quantifiable. Plusieurs cours d’appel ont généralement reconnu cette possibilité : R. c. Semeniuk (2004), 2004 BCCA 233 (CanLII), 184 C.C.C. (3d) 571, par. 16 (C.A.C.-B.); R. c. Yates (2003), 2002 BCCA 583 (CanLII), 169 C.C.C. (3d) 506, par. 11 (C.A.C.-B.); R. c. Eizenga (2011), 2011 ONCA 113 (CanLII), 270 C.C.C. (3d) 168, par. 2, 110-111 (C.A.O.).

[40] Dans l’arrêt R. c. Zelensky, 1978 CanLII 8 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 940, aux pages 962 et 963, le juge en chef Laskin, discutant du dédommagement accordé, reconnaît que « [l]e conflit n’a pas été résolu comme il l’aurait été devant un tribunal civil, et le montant accordé dans l’ordonnance de dédommagement par les procédures criminelles est assez arbitraire. » Dans l’arrêt R. c. Cho, 2017 QCCA 1003 (CanLII), la Cour confirme la somme attribuée par le juge, laquelle était inférieure aux sommes discutées par les experts dans le cadre du procès, mais représentait un montant manifestement relié à la fraude des délinquants. Dans les deux cas, les dommages étaient strictement reliés à l’acte criminel puni.

[41] Finalement, les craintes exprimées sur les motivations de la personne lésée qui souhaiterait « aggraver les sanctions contre le coupable aussi bien que pour son propre bénéfice » sont sans doute les plus sérieuses. Cependant, elles sont neutralisées par les principes de totalité et de proportionnalité que doit respecter toute peine. Cette dimension de la mesure est essentielle.

[42] L’ordonnance faisant partie de la peine, cette dernière devra, au final, respecter les principes de la totalité et de la proportionnalité : R. v. Castro, 2010 ONCA 718 (CanLII), par. 23 et, par analogie, R. c. Cloud, 2016 QCCA 567 (CanLII), par. 73.

[43] Comme l’explique la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt Siemens, « [t]he constitutional justification for a provision in the Code permitting restitution orders is that restitution is a part of the punishment. Where punishment is exacted in the form of a restitution order, there should be a corresponding reduction in other forms of punishment which might be imposed… » : R. c. Siemens (1999) 1999 CanLII 18651 (MB CA), 136 C.C.C. (3d) 353, par. 8; R. c. Yates 2002 BCCA 583 (CanLII), par. 11; R. c. Fast-Carlson, 2015 SKCA 86, par. 11; R. c. Bradbury, 2004 NLCA 82 (CanLII), par. 59 et 62; R. v. MacAdam, 2003 PESCAD 4 (CanLII), par. 21 et 24.

[44] Partant, ”an order of restitution must not be made as a mechanical afterthought to an incarceratory sentence”: R. c. Siemens (1999) 1999 CanLII 18651 (MB CA), 136 C.C.C. (3d) 353, par. 10.

[45] En somme, le danger d’une aggravation inutile de la peine se présentera rarement si le juge applique correctement les principes de la totalité de la peine et de la proportionnalité. L’ordonnance de dédommagement ne vient donc pas « aggraver » la peine, mais elle incorpore une dimension individuelle à la réparation, généralement davantage collective, de la peine.

[46] En ajoutant cette réponse directe au préjudice subi par un membre de la collectivité, tel que défini à l’article 738 C.cr., tout en contribuant à la responsabilisation du délinquant, la peine ne peut qu’être plus complète.

[47] Le véritable danger, réel dans la mesure où cette modalité de la peine peut se répercuter sur de nombreuses années, se traduit par le risque de compromettre la réhabilitation à long terme du délinquant : R. v. Heathcliff, 2015 YKCA 15 (CanLII), par. 9; Legault c. R., 2008 QCCA 1228 (CanLII), par. 13; R. c. Bendwell, 2009 QCCA 12 (CanLII), par. 17; R. c. Taylor (2004), 2003 CanLII 16380 (ON CA), 180 C.C.C. (3d) 495, par. 9 (C.A.O.); R. c. Fast-Carlson 2015 SKCA 86, par. 27-28.

[48] Son poids relatif dans la sévérité de la peine dépendra, on peut le croire, de facteurs variés qu’il appartient au juge de soupeser. Il est sans doute peu sage de tenter d’en faire la liste. Les efforts qui seront exigés du délinquant pour y satisfaire et le nombre d’années anticipées pour y parvenir sont probablement pertinents. À moins d’une erreur manifeste à cet égard ou d’un résultat manifestement déraisonnable, la déférence est due au juge qui prononce la peine.

[49] Le juge, en déterminant une peine équilibrée, juste et appropriée, ne peut pas ignorer l’impact de l’ordonnance de dédommagement, particulièrement lorsque le délinquant devra payer sur une longue période. La capacité de payer future et espérée comporte toujours un élément d’incertitude à tous égards et peut entraver la réhabilitation sociale. Quant au délinquant impécunieux, avec peu d’espoir de voir sa situation financière s’améliorer, l’exécution devient illusoire. L’ordonnance peut sembler de peu d’utilité pour les objectifs poursuivis que sont la réparation, la responsabilisation et la réhabilitation, lesquels doivent alors être recherchés avec d’autres outils ou modalités de la peine.

La fraude à l’employeur et l’ordonnance de dédommagement

[50] En va-t-il différemment lorsque le crime est une fraude envers l’employeur? C’est ce que plaide l’appelante. La jurisprudence appuie l’argument puisqu’on semble dire que, pour certains crimes, la capacité de payer devient un facteur secondaire.

[51] Ainsi, notre Cour a décidé dans l’arrêt R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655 (CanLII), aux par. 20 à 24, à l’instar d’autres arrêts de cours d’appel au pays sur lesquels elle s’appuie, qu’un régime différent s’applique dans le cas d’une fraude impliquant un abus de confiance. En principe, l’incapacité de payer du délinquant ne ferait pas alors obstacle à l’ordonnance de dédommagent qui doit être sérieusement envisagée. Sans créer d’automatisme, la préoccupation est alors davantage axée sur l’impact du crime sur la victime que l’impact de l’ordonnance sur le délinquant : R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655, par. 27; R. c. Johnson (2011), 2010 ABCA 392 (CanLII), 265 C.C.C. (3d) 443, par. 29 (C.A.A.); R. c. Eizenga (2011), 2011 ONCA 113 (CanLII), 270 C.C.C. (3d) 168, par. 103-105 (C.A.O.), et jurisprudence citée.

[52] Je suis d’accord avec cette exception qui n’en est peut-être pas une. En réalité, elle s’est développée dans le contexte de fraude avec facteurs aggravants, et elle est devenue le reflet d’une réaction logique à un crime qui est grave en soi, et surtout, parce qu’il est le résultat de gestes généralement réfléchis impliquant des sommes facilement quantifiables ayant profité au délinquant.

[53] En effet, le bénéfice retiré du crime, tout comme l’absence de bénéfice, est une considération importante dans la logique du droit criminel et de la mesure : Legault c. R., 2008 QCCA 1228 (CanLII); voir aussi R. v. Castro, 2010 ONCA 718 (CanLII), par. 34.

[54] La jurisprudence exige donc que le juge s’interroge non seulement sur la capacité de payer actuelle, mais sur la capacité future. À ce chapitre, lorsque la fraude est grave et vise des victimes vulnérables, une expectative, même faible, que le délinquant pourra satisfaire en tout ou en partie l’ordonnance devrait suffire pour la prononcer malgré son incapacité actuelle : R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655 (CanLII), par. 28. Dans cette affaire, il s’agissait d’une importante fraude perpétrée à l’égard de personnes vulnérables.

[55] Il ne s’agit pas d’une application mécanique. Dans ces cas comme dans tous les autres, l’individualisation de la peine doit être respectée : R. c. Bendwell, 2009 QCCA 12 (CanLII), par. 15. Dans tous les cas, les facteurs à évaluer sont nombreux, mais aucun n’est déterminant : voir notamment R. c. Devgan, 1999 CanLII 2412 (ON CA), 1999 CanLII 2412 (C.A.O.). L’ordonnance demeure essentiellement discrétionnaire puisqu’elle participe de la détermination de la peine : R. c. Lavallée, 2016 QCCA 1655 (CanLII); Legault c. R., 2008 QCCA 1228 (CanLII).

[56] À l’intérieur de ces paramètres, rappelons les propos de la Cour suprême dans R. c. Fitzgibbon, 1990 CanLII 102 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1005 à la p. 1014:

En résumé, on peut constater que les ordonnances de dédommagement sont une composante extrêmement utile du processus de détermination de la peine. Elles servent souvent à déterminer les peines à imposer à des jeunes ou à des contrevenants primaires qui n’ont pas commis de crime violent. On ne saurait trop insister sur leur valeur. La plus grande part de l’efficacité de ces ordonnances tient à leur effet est immédiat. Quand cela est possible, elles méritent d’être considérées dans la détermination de la peine de tous les contrevenants.

La peine d’emprisonnement discontinue et sa valeur relative à la dissuasion générale

[72] À ce sujet, il est inexact de prétendre, comme le fait l’appelante, que l’emprisonnement discontinu a peu de valeur dissuasive auprès de ceux et celles qui seraient tentés de commettre un geste similaire. Dans un premier temps, cette Cour a reconnu dans plusieurs décisions la valeur toute relative de la dissuasion générale : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047 (CanLII); R. c. Brais, 2016 QCCA 356 (CanLII); R. c. Harbour, 2017 QCCA 204 (CanLII). Dans un second temps, elle a également reconnu que l’emprisonnement discontinu permet d’atteindre les objectifs de dissuasion et de dénonciation : R. c. Zawahra, 2016 QCCA 871 (CanLII), par. 22; R. c. Ruel, 2014 QCCA 1830 (CanLII), par. 9; R. c. Lafrance (1993), 1993 CanLII 4290 (QC CA), 87 C.C.C. (3d) 82 (C.A.).