L’arrestation se fondant sur une odeur de cannabis

R. c. Genest, 2004 CanLII 21636 (QC CQ) :

Dans l’affaire Genest, le juge Tremblay résume très bien le droit applicable à une arrestation fondée sur une odeur de cannabis.

L’arrestation se fondant sur des motifs objectifs

[35]            Par ailleurs, ce que soumet le procureur de l’accusé porte plutôt sur le caractère objectivement raisonnable d’une conclusion que les policiers ont prise pour acquise. Est-ce que le fait de dégager une odeur de stupéfiants par l’haleine permet dans un premier temps, pris isolément et ensuite dans le contexte de l’ensemble des informations dont disposaient les policiers, de tirer l’inférence que l’accusé possédait un stupéfiant, notamment en l’espèce de la marijuana?

La simple odeur de cannabis émanant du véhicule

[36]            Cette question de l’odeur est plus complexe qu’elle n’y paraît. Il y a une doctrine américaine, le «plain smell» qui autorise un policier à fonder une fouille ou une arrestation sur une odeur, mais uniquement quand cela paraît raisonnable dans l’ensemble des circonstances. Il y a des raisons qui militent en faveur d’une autorisation bien balisée. Il y a une différence entre l’odeur de la marijuana fraîchement coupée et l’odeur du produit fumé. Il y a le fait que les odeurs sont affaire de perception et sont volatiles, donc éphémères parfois. Dans l’arrêt R. v. Polashek1999 CanLII 3714 (ON CA), [1999] O.J. No. 968, le juge Rosenberg pour la Cour d’appel de l’Ontario a consulté cette doctrine et estimé que si un policier dont l’arrestation est contestée avait fondé ses motifs uniquement sur la présence de l’odeur de marijuana dans le véhicule, cela aurait été insuffisant. Il conclut en définitive d’une manière assez semblable à la doctrine américaine : il faut regarder l’ensemble des circonstances pour déterminer le caractère raisonnable des conclusions du policier, sinon le citoyen risque d’être à la merci des qualités olfactives des policiers.

[37]            Dès 1986, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a associé la doctrine du plain smell à la doctrine du plain view elle aussi d’origine américaine mais acceptée au Canada; voir R. v. Belliveau and Losier,(1986) 1986 CanLII 88 (NB CA), 30 CCC(3d) 163. En 1998, dans  R. v. Smith1998 ABCA 418 (CanLII), la Cour d’appel de l’Alberta reprend l’examen des doctrines respectives et apporte des nuances : toute analogie entre les deux doit être faite avec prudence. Plusieurs distinctions s’imposent, notamment celle-ci: à la différence de la vision d’un objet que constitue la découverte d’une preuve, la perception d’une odeur entraîne nécessairement une fouille pour découvrir la preuve.

[38]            Mais quelques années plus tard, la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans R. v. Steeves, [2002] BCJ No. 869, repris les conclusions du juge Rosenberg, les appliquant cette fois à une perquisition dans une résidence.

En résumé – odeur de cannabis

[39]            En général, il semble se dégager de ces arrêts que la question de savoir si l’odeur de marijuana est suffisante pour fonder une arrestation ou une fouille dépendra à chaque fois de l’ensemble des circonstances R. v. Omelisuk, 2003 BCCA 319 (CanLII)R. v. Schulz, 2001 BCCA 601 (CanLII) et R. v. Duong, (2002) 2002 BCCA 43 (CanLII), 162 CCC (3d) 242. R. v. Richardson2001 BCCA 260 (CanLII), [2001] 43 C.R. (5th) 371, aut.CSC refusée, [2001] SCCA No 343 (QL) et plus récemment R. c. Sewell2003 SKCA 52 (CanLII).

[40]            Dans les arrêts R. c. Kokesh, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3, R. c. Evans,1996 CanLII 248 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 8 et plus récemment R.c.Buhay,2003 CSC 30 (CanLII), [2003] 1R.C.S. 631[1], la Cour suprême n’a pas traité directement du caractère raisonnable de la déduction de la présence de stupéfiants dans un lieu lorsque l’odeur est présente, mais ne s’en est pas formalisée non plus.

[41]            Par ailleurs, en l’espèce, l’odeur émane de la personne. Je comprends que l’on puisse soutenir décemment qu’une haleine de marijuana ne signifie pas nécessairement qu’une personne en possède sur elle; il est facile d’ailleurs de faire des comparaisons avec l’alcool. La présence de l’alcool dans l’haleine permet de croire à la consommation mais presque jamais à la possession: pourquoi cela en serait-il autrement pour la marijuana? L’odeur de marijuana fraîche ou coupée permet de croire à sa présence récente, l’odeur de marijuana fumée pourrait amener la même conclusion, mais du même coup ne permet pas d’exclure la possibilité que le stupéfiant ait été consommé et n’existe plus ! Mais les stupéfiants dont nous discutons sont généralement transportés en petite quantité par les utilisateurs et peuvent se porter facilement sur un consommateur sans être décelables en pleine vue, contrairement à l’alcool.

[42]            Bien sûr aussi, il sera souvent question de petites quantités poursuivables uniquement par voie sommaire et pour lesquelles le pouvoir d’arrestation est limité au flagrant délit et ne devrait être exercé qu’exceptionnellement. Bien sûr, le Parlement canadien étudie un projet de loi pour décriminaliser ce type de délit dont la gravité objective paraît bien faible. La Cour n’est pas sans savoir non plus que dans quelques provinces, les tribunaux ne sanctionnent plus la possession simple de stupéfiants, mais la possession de stupéfiants est encore une infraction prévue au Code criminel et passible de poursuite au Québec.

[43]            Après mûres réflexions, je suis disposé à faire une analogie entre l’arrestation d’une personne dans une voiture ou dans une résidence, consécutive à la détection d’une odeur de stupéfiants dans ce lieu et, l’arrestation d’une personne consécutive à la détection d’une odeur de stupéfiants dans l’haleine de celle-ci. J’estime donc que la perception d’une odeur de stupéfiants émanant d’une personne peut servir de fondement à son arrestation quand cela paraît raisonnable dans l’ensemble des circonstances. Ce qui m’amène après examen à conclure que la conclusion tout simplement prise pour acquise par les policiers était raisonnable.