Par Me Félix-Antoine T. Doyon

La Cour suprême du Canada dans R. c. W.H., 2013 CSC 22 rappelle le critère du verdict déraisonnable.

Voici les passages pertinents :

[25]                          Différentes voies d’appel s’offrent à la personne déclarée coupable d’un acte criminel.  Elle peut invoquer soit une question de droit, soit, sur autorisation, une question de fait, une question mixte de fait et de droit ou « tout motif [. . .] jugé suffisant par la cour d’appel » (Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, al. 675(1)a)).  Aussi large que soit le droit d’interjeter appel d’une déclaration de culpabilité, celle‑ci ne peut toutefois être infirmée que pour trois motifs : le verdict est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve, une erreur de droit a été commise au procès ou il y a eu erreur judiciaire (al. 686(1)a) du Code).  Seul le premier fonde le présent pourvoi (sous-al. 686(1)a)(i)).

[26]                          Un verdict est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve lorsqu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire n’aurait pu raisonnablement le rendre (R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, à la p. 185, et R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, au par. 36).  Le même critère s’est longtemps appliqué tant au verdict d’un jury qu’à celui d’un juge mais, récemment, notre Cour a quelque peu accru la portée de l’examen qui permet de déterminer que le verdict d’un juge est raisonnable ou non (R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, et R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3).  Elle a ainsi reconnu l’existence d’une différence d’ordre pratique entre l’examen du verdict d’un juge et l’examen du verdict d’un jury.  En effet, contrairement au jury, le juge motive sa conclusion, de sorte que la cour d’appel peut tenir compte de ses motifs pour se prononcer sur le caractère raisonnable du verdict.  Cependant, cet élargissement de l’examen ne vaut pas pour le verdict d’un jury.

[27]                          La cour d’appel qui se penche sur le verdict de culpabilité prononcé par un jury doit respecter deux balises très nettes.  D’une part, elle doit dûment prendre en compte la situation privilégiée du jury à titre de juge des faits ayant assisté au procès et entendu les témoignages.  Elle ne doit ni devenir un « treizième juré », ni donner suite à un vague malaise ou à un doute persistant qui résulte de son propre examen du dossier, ni conclure au caractère déraisonnable du verdict pour le seul motif qu’elle a un doute raisonnable après examen du dossier.

[28]                          D’autre part, le tribunal d’appel ne peut se contenter d’apprécier le caractère suffisant de la preuve.  Il ne s’acquitte pas de la tâche qui lui incombe en concluant qu’il existe des éléments de preuve qui, s’il leur est ajouté foi, étayent la déclaration de culpabilité.  Il doit plutôt « examiner, [] analyser et, dans la mesure où il est possible de le faire compte tenu de la situation désavantageuse dans laquelle se trouve un tribunal d’appel, [] évaluer la preuve » (Biniaris, au par. 36) et se demander, à la lumière de son expérience, si « l’appréciation judiciaire des faits exclut la conclusion tirée par le jury » (par. 39, italique ajouté).  Ainsi, pour déterminer si le verdict est de ceux qu’un jury ayant reçu les directives appropriées et agissant de manière judiciaire aurait raisonnablement pu rendre, le tribunal d’appel doit se demander non seulement si le verdict s’appuie sur des éléments de preuve, mais également si la conclusion du jury ne va pas à l’encontre de l’ensemble de l’expérience judiciaire (Biniaris, au par. 40).

[29]                          On ne saurait dresser l’inventaire exhaustif des cas où l’expérience judiciaire acquise permet de conclure que le verdict d’un jury est déraisonnable, mais quelques exemples peuvent être donnés.  La mise en garde du jury qui s’impose à l’égard d’un témoin ou d’un type de preuve en particulier participe de l’expérience judiciaire acquise et peut être prise en compte dans l’examen en appel du caractère raisonnable du verdict.  Mentionnons par exemple le témoignage d’un indicateur incarcéré, d’un complice ou d’un témoin oculaire.  D’autres circonstances qui, en droit, n’appellent généralement pas de mise en garde particulière du jury peuvent néanmoins, à la lumière de l’expérience judiciaire acquise, mener à la conclusion qu’un verdict est déraisonnable; par exemple, le risque lié à l’acceptation d’allégations d’attouchements sexuels étranges ou le risque de préjugé lié à une défense d’ordre psychiatrique (Biniaris, au par. 41).  Il appert de l’expérience judiciaire acquise que chacun de ces exemples correspond à une circonstance explicite et précise créant un risque de déclaration de culpabilité injustifiée.