La fouille du cellulaire lors de l’arrestation est-elle légale ?

R. c. Fearon, 2014 CSC 77 :

Au moment d’établir le cadre général du pouvoir de procéder à une fouille, il ne faut pas distinguer différents appareils cellulaires en fonction de leurs capacités particulières.  Ainsi, par exemple, le même cadre général permettant de déterminer la légalité de la fouille accessoire à l’arrestation devrait s’appliquer au téléphone cellulaire relativement peu sophistiqués en cause en l’espèce comme il devrait s’appliquer aux autres appareils assimilables à des ordinateurs : voir Vu, par. 38 (au para. 52).

J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que selon certains tribunaux, la protection garantie par l’art. 8 dans le contexte des fouilles de téléphones cellulaires varie selon que le téléphone est protégé par un mot de passe : voir, p. ex., le jugement de la Cour d’appel, 2013 ONCA 106 (CanLII), 114 O.R. (3d) 81, par. 73 et 75; décision, par. 49; R. c. Khan2013 ONSC 4587 (CanLII), 287 C.R.R. (2d) 192, par. 18; R. c. Hiscoe2013 NSCA 48 (CanLII), par. 80‑81.  Je n’accorderai pas beaucoup de poids à ce facteur dans l’évaluation de l’attente subjective d’une personne en matière de vie privée ou pour déterminer si cette attente est raisonnable.  La décision d’une personne de ne pas protéger son téléphone cellulaire par un mot de passe n’indique pas qu’elle renonce en quelque sorte aux intérêts importants en matière de respect de sa vie privée qu’elle a généralement sur le contenu de son téléphone : voir, p. ex., R. c. Rochwell2012 ONSC 5594 (CanLII), 268 C.R.R. (2d) 283, par. 54.  Les téléphones cellulaires — verrouillés ou non — mettent en cause des intérêts importants en matière de respect de la vie privée.  Mais nous devons aussi garder ce point en perspective (au para. 53).

Le juge Cromwell élabore les circonstances dans lesquelles un téléphone cellulaire peut fouillé lors d’une fouille accessoire à l’arrestation.

En pratique que, généralement, même lorsqu’une fouille d’un téléphone cellulaire est permise parce qu’elle est véritablement accessoire à l’arrestation, seuls les courriels envoyés ou rédigés récemment, les photos et messages textes récents, ainsi que le registre des appels, pourront être examinés puisque dans la plupart des cas, seuls les éléments de ce genre auront le lien nécessaire aux objectifs pour lesquels une inspection rapide de l’appareil est permise.  Mais il ne s’agit pas là de règles et, dans certaines circonstances, d’autres fouilles peuvent être justifiées.  La question est de savoir si la nature et l’étendue de la fouille sont adaptées à l’objectif pour lequel la fouille peut être légalement effectuée (au para. 76).

Le fait qu’une certaine inspection d’un téléphone cellulaire soit véritablement accessoire à l’arrestation n’autorise pas pour autant les policiers à trifouiller l’appareil à volonté.  Pour que la fouille soit conforme à la règle de common law et respecte l’art. 8 de la Charte, sa nature et son étendue doivent être véritablement accessoires à l’arrestation.  Je suis d’accord avec les cours d’appel de la Colombie‑Britannique et de la Nouvelle‑Écosse pour dire que, en général, la fouille de la totalité du contenu d’un téléphone cellulaire ou le téléchargement de son contenu ne sont pas permis dans le cadre d’une fouille accessoire à l’arrestation (au para. 78).

Les objectifs d’application de la loi que les fouilles accessoires à l’arrestation permettent de réaliser seront généralement les plus impérieux dans le cadre des enquêtes relatives à des crimes comportant, par exemple, de la violence ou des menaces de violence, des crimes qui présentent un risque pour la sécurité du public, tels le vol à main armée en l’espèce, des infractions graves contre des biens susceptibles de disparaître rapidement, ou le trafic de drogue.  De façon générale, les crimes de ce genre sont les plus susceptibles de justifier une fouille restreinte d’un téléphone cellulaire accessoirement à une arrestation, compte tenu des objectifs d’application de la loi.  À l’inverse, la fouille d’un téléphone cellulaire accessoire à une arrestation ne sera généralement pas justifiée dans les cas d’infractions mineures (au para. 79).

Une autre modification consiste à traiter de façon restrictive dans ce contexte le troisième objectif pour lequel les fouilles accessoires à l’arrestation sont permises — la découverte d’éléments de preuve.  Cet objectif, dans le contexte d’une fouille accessoire à l’arrestation à l’égard d’un téléphone cellulaire, ne constituera un objectif valable d’application de la loi que lorsque l’enquête sera paralysée ou sérieusement entravée parce qu’on ne peut pas fouiller rapidement le téléphone cellulaire accessoirement à l’arrestation.  Ce n’est que dans les situations de ce genre que les objectifs d’application de la loi relatifs à la découverte d’éléments de preuve l’emportent clairement sur l’atteinte potentiellement importante à la vie privée.  Par exemple, si, comme en l’espèce, il y a lieu de croire qu’un autre auteur du crime n’a pas été trouvé, la fouille d’un téléphone cellulaire en vue de trouver d’autres suspects sera véritablement accessoire à l’arrestation (au para. 80).

En pratique, cela signifiera que les fouilles de téléphones cellulaires ne sont pas systématiquement permises simplement en vue de découvrir d’autres éléments de preuve.  Le pouvoir de procéder à une fouille doit être exercé avec une grande circonspection.  Cela signifiera également en pratique que les policiers devront être prêts à expliquer pourquoi il n’était pas pratique (et je souligne que cela ne signifie pasimpossible), compte tenu de toutes les circonstances de l’enquête, de reporter la fouille jusqu’à ce qu’ils puissent obtenir un mandat (au para. 80).

Enfin, les policiers doivent prendre des notes détaillées de ce qu’ils ont examiné sur le téléphone cellulaire.  La Cour a encouragé la prise de notes de ce genre dans l’arrêt Vu dans le contexte d’une fouille autorisée par un mandat : par. 70.  Elle a également encouragé la prise de notes dans le contexte de fouilles à nu : Golden, par. 101.  À mon avis, étant donné que nous sommes en présence d’un pouvoir extraordinaire de procéder à une fouille qui ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables, l’obligation de consigner soigneusement le contenu fouillé et la façon dont il a été fouillé devrait être imposée comme impératif constitutionnel.  Il faudrait généralement consigner les applications ayant fait l’objet d’une fouille ainsi que l’étendue, l’heure, les objectifs et la durée de la fouille.  Le contrôle judiciaire après le fait est particulièrement important lorsque, comme c’est le cas lors de fouilles accessoires à l’arrestation, il n’y a aucune autorisation préalable.  Pour assurer l’efficacité de ce contrôle, il est important que l’on ait une image claire des mesures qui ont été prises.  De plus, l’exigence de conserver des notes aura probablement pour effet accessoire d’aider les policiers à se concentrer sur la question de savoir si les mesures prises à l’égard du téléphone sont conformes aux paramètres de la fouille légale accessoire à l’arrestation (au para. 82).

En résumé, il faut retenir ce qui suit :

En résumé, les policiers ne seront pas autorisés à procéder à la fouille d’un téléphone cellulaire ou d’un appareil similaire accessoirement à chaque arrestation.  Les fouilles de cette nature seront plutôt conformes à l’art. 8 lorsque :

(1)      l’arrestation est légale;

(2)      la fouille est véritablement accessoire à l’arrestation puisque les policiers peuvent invoquer un objectif d’application de la loi valable et objectivement raisonnable pour procéder à la fouille.  Dans ce contexte, les objectifs valables d’application de la loi sont les suivants :

a)     protéger les policiers, l’accusé ou le public;

b)     conserver les éléments de preuve;

c)     découvrir des éléments de preuve, notamment trouver d’autres suspects, lorsque l’enquête sera paralysée ou sérieusement entravée si l’on n’effectue pas rapidement une fouille accessoire à l’arrestation à l’égard du téléphone cellulaire;

(3)      la nature et l’étendue de la fouille sont adaptées à l’objectif de la fouille;

(4)      les policiers prennent des notes détaillées de ce qu’ils ont examiné sur l’appareil et de la façon dont ils l’ont fait (au para. 83).

* En établissant ces exigences à l’égard du pouvoir conféré aux policiers par la common law, je ne prétends pas que ces mesures représentent la seule façon de rendre conformes à la Constitution les fouilles accessoires à l’arrestation à l’égard de téléphones cellulaires.  Il peut s’agir d’un domaine, comme l’a conclu la Cour dans l’arrêt Golden, où un texte législatif serait souhaitable.  L’équilibre entre l’application de la loi et les préoccupations en matière de vie privée peut être établi de nombreuses façons, et mes motifs ne visent pas à restreindre les options acceptables (au para. 84).