Le jugement d’une cour de justice criminelle entraine t-il automatiquement la responsabilité civile d’un accusé ?

Grenier c. Régie de police de Memphrémagog, 2015 QCCQ 5136 :

La considération du jugement criminel

[25]        En l’espèce, le procès civil se tient après un jugement rendu en matière criminelle[9], relativement aux mêmes événements. Dans son jugement, le juge Larfrenière tire certaines conclusions, après avoir retenu les faits. Quelle autorité le Tribunal siégeant en matière de responsabilité civile doit-il accorder à ce jugement?

[26]        Cette question a été analysée dans un jugement de la Cour supérieure[10] :

[38]      En droit québécois, les régimes de responsabilité extracontractuelle et de responsabilité pénale sont distincts. Ils sont régis par des règles de fond, de preuve et de procédure différentes8 :

La maxime le criminel tient le civil en état n’existe pas en droit québécois.

[39]      Par contre, la jurisprudence reconnaît que le jugement rendu en matière pénale constitue, dans une instance civile, un fait juridique important9.

[40]      Bien que le jugement pénal n’ait pas une autorité de droit, la jurisprudence majoritaire lui confère une autorité de fait10 :

Autorité de fait – Le jugement pénal reste cependant un fait juridique important. Il apparaît difficilement concevable qu’un juge civil puisse l’ignorer complètement, ne lui accorder aucune foi, surtout au prix d’une contradiction flagrante entre les deux jugements. Ainsi, il serait curieux d’admettre, après un procès pénal où l’accusé a plaidé non coupable, mais a été reconnu coupable et a été condamné, par exemple, pour négligence criminelle, qu’un juge civil déclare subséquemment que l’individu, sur le plan de sa responsabilité civile et à propos des mêmes faits, s’est conduit en personne prudente et diligente. (…)

La majorité des arrêts reconnaît une autorité de fait au jugement pénal, selon les circonstances particulières del’espèce et selon le but dans lequel le jugement pénal est invoqué. Certains arrêts, se plaçant sur le seul terrain del’admissibilité en preuve, ne permettent pas que la procédure du procès civil se réfère au résultat du procès pénal et donc, sur requête à cet effet, ordonnent de retrancher des procédures civiles l’allégation d’un verdict ou d’un plaidoyer pénal. D’autres en sens contraire ont, à notre avis, raison, puisqu’elles permettent, dans le cadre du procès civil, d’introduire un élément de preuve important. (…)

Le jugement pénal n’a donc pas d’autorité de droit sur le jugement civil. Toutefois, eu égard aux circonstances et aux fins particulières pour lesquelles il est mis en preuve, il peut se voir reconnaître une autorité de fait et donc avoir une influence, soit quant à son résultat, soit quant à certains éléments de son contenu.

(Le Tribunal souligne)

[41]      Cette autorité résulte de la préoccupation des tribunaux d’éviter les contradictions entre des jugements découlant de faits identiques11.

[42]      L’autorité de fait du jugement pénal peut s’étendre au-delà du verdict de culpabilité ou d’acquittement et s’appliquer également aux motifs, conclusions et commentaires du juge de l’instance pénale12.

[43]      Cette autorité crée une présomption simple de fait qui est essentiellement réfragable13.

                                                              

  1.   J.-L. BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 1-79 à 1-80, p. 57 à 59; Ali c. Compagnie d’assurances Guardian du CanadaJ.E. 99-1153(C.A.).

  2.   Id.

  3. J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civileop. cit., note 8.

  4. Léo DUCHARME, Précis dela preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, par. 584, p. 232; Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot2007 QCCA 1790 (CanLII), J.E. 2008-146 (C.A.); Solomon c. Québec (Procureur général)2008 QCCA 1832 (CanLII), J.E. 2008-1911 (C.A.).

  5. Lawyers Title Insurance Corp. c. MichalakopoulosJ.E. 2004-2101(C.S.) et Vennat c. Canada (Procureur général)J.E. 2005-619 (C.S.).

  6. Solomon c. Québec (Procureur général), précité, note 11, Lawyers Title Insurance Corp. c. Michalakopoulos, précité, note 12 et Association des propriétaires deBoisés dela Beauce c. Monde forestier2009 QCCA 48 (CanLII), J.E. 2009-228 (C.A.).