St-Germain c. R., 2017 QCCS 3995

 

M. St-Germain est en appel d’une condamnation pour garde ou contrôle d’un véhicule automobile avec les facultés affaiblies par la drogue.  L’appel porte principalement sur l’admissibilité des éléments de preuve découverts lors de la fouille du véhicule de M. St-Germain alors qu’il était en détention pour fins d’enquête. Le Tribunal conclut que la fouille du véhicule était abusive et que l’utilisation des éléments de preuve découverts, pour la plupart détruits, discréditerait l’administration de la justice.

ANALYSE

L’article 8 de la Charte

Point de départ d’une détention pour fins d’enquête

[43]        D’abord, en ce qui a trait à la question de la détention pour fins d’enquête, la juge a raison de conclure que les policiers avaient des motifs raisonnables et probables de soupçonner que M. St-Germain avait été en garde ou contrôle de son véhicule automobile avec les facultés affaiblies par la drogue suite à la constatation des symptômes qu’il présentait. Cependant, elle a omis de se prononcer sur la question à savoir si l’interception initiale des policiers constituait une détention illégale. C’est le cas.

[44]        Les policiers ont le droit de s’approcher d’un véhicule automobile stationné dans un lieu public pour faire une vérification de routine dans le cadre de leurs pouvoirs généraux d’agents de la paix, en autant que la personne vérifiée soit libre de répondre ou de quitter[31].

[45]        Par contre, positionner le véhicule patrouille pour empêcher le véhicule d’un individu de quitter et utiliser des lumières à haute intensité (take down) pour en éclairer l’intérieur constituent une détention pour fins d’enquête[32] qui n’est pas autorisée en l’absence de motifs raisonnables de soupçonner que l’individu est relié à une infraction criminelle[33], à moins qu’elle ne soit justifiée par la législation provinciale relative au contrôle routier[34].

[46]        En l’espèce, les policiers ne sont pas intervenus en vertu du Code de la sécurité routière. Ils enquêtaient une information anonyme qui ne leur donnait aucunement des motifs raisonnables et probables de soupçonner que M. St-Germain était relié à une infraction criminelle. Ils n’étaient pas autorisés à l’empêcher de quitter les lieux en lui bloquant l’accès pour sortir. Il s’agit d’une détention illégale. Il se peut que cette détention illégale n’ait pas eu d’effet sur la suite des choses, mais elle a une importance sur l’analyse de la gravité de la conduite attentatoire des policiers et sur la conclusion de leur bonne foi par la juge de première instance.

Fouille incidente à la détention pour fins d’enquête

[47]        Concernant la fouille initiale du véhicule par les policiers, la juge a déterminé qu’ils pouvaient procéder ainsi pour leur protection incidemment à la détention pour fins d’enquête. Ce n’est pas le cas. Bien que les policiers aient le droit de procéder à une inspection visuelle en plain view d’un véhicule automobile, même avec l’utilisation d’une lampe de poche[35], la fouille de sécurité à partir de l’intérieur du véhicule est exceptionnelle et doit être motivée par une situation de danger imminent, par exemple lorsque les policiers ont des motifs raisonnables de croire qu’une arme est à l’intérieur du véhicule[36]. Des inquiétudes vagues ou inexistantes en matière de sécurité sont insuffisantes pour justifier une telle fouille[37]. Selon le témoignage des policiers Auger et Robbe, ils n’avaient aucun motif raisonnable de croire que leur propre sécurité ou celle d’autrui était menacée, justifiant une telle fouille exceptionnelle.

Saisie d’un objet en plain view

[48]        Pour que la doctrine du plain view s’applique, le policier doit se trouver légalement dans le lieu où il découvre l’objet[38]. La découverte de la seringue souillée et des deux autres seringues n’était pas en plain view, comme a conclu la juge de première instance, puisque les policiers n’étaient pas légalement à l’intérieur du véhicule automobile. Le fait que les policiers aient possiblement pu voir la seringue s’ils avaient utilisé une lampe de poche n’y change rien.

Fouille incidente à l’arrestation

[49]        Hypothétiquement, si la découverte des seringues avait été faite légalement, la fouille qui s’en est suivie n’aurait pas non plus été légale, contrairement à ce qu’écrit la juge de première instance, puisque le policier Auger a admis lui-même qu’il n’avait pas les motifs subjectifs pour procéder à l’arrestation à ce moment.

[50]        La juge de première instance a également tort de conclure que la découverte de la cocaïne était légale parce qu’incidente à l’arrestation de M. St-Germain par la policière Ditulio. La fouille des policiers Auger et Robbe n’avait aucun lien avec l’arrestation par la policière Ditulio selon une lecture raisonnable de la preuve.

[51]        Cela est sans doute un truisme, mais pour qu’une fouille incidente à une arrestation soit légale, il faut que cette fouille soit l’accessoire de l’arrestation et non pas uniquement effectuée de façon concomitante, mais sans lien avec celle-ci[39]. Une fouille n’est pas accessoire à une arrestation si le policier qui l’effectue agit à des fins qui n’ont rien à voir avec l’arrestation et ne possède pas les motifs subjectifs pour l’effectuer[40]

Le paragraphe 24(2) de la Charte

Déférence due au juge de première instance sur l’analyse en fonction de 24(2) de la Charte

[52]        La détermination par le juge du procès de ce qui, suivant l’analyse en fonction du paragraphe 24(2) de la Charte, est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice eu égard aux circonstances justifie une grande déférence en appel lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable[41].

[53]        Par ailleurs, lorsque la décision concernant l’admissibilité de la preuve est entachée d’une erreur de principe ou d’une interprétation erronée ou déraisonnable de la preuve, la retenue n’est plus de mise et une cour d’appel peut faire sa propre analyse[42]. De plus, le tribunal d’appel n’a pas à montrer une aussi grande déférence lorsqu’il arrive à une conclusion différente au sujet de la violation elle-même[43].

[54]        Les erreurs de droit et manifestes et déterminantes de faits par la juge de première instance justifie le Tribunal de procéder à une nouvelle analyse des facteurs prévus au paragraphe 24(2) de la Charte.

Gravité de la conduite des policiers

[55]        Avec égards, deux des trois motifs invoqués par la juge de première instance pour conclure que l’ « atteinte est minimale » concernent justement non pas la conduite des policiers, mais plutôt l’atteinte aux droits de M. St-Germain qui est l’objet du deuxième critère. Le fait que les policiers aient eu ou non des motifs objectifs pour procéder à l’arrestation n’atténue aucunement la gravité de leur conduite attentatoire. Il en va de même du fait que M. St-Germain ait une expectative de vie privée moins élevée dans sa voiture que dans sa maison. Quant à la détermination par la juge que les policiers étaient de bonne foi et que leur conduite n’est pas le résultat d’un mépris flagrant envers les droits garantis par la Charte, le Tribunal considère que la déférence usuelle à l’égard de cette détermination doit être fortement remise en question ici.

[56]        D’abord, la juge de première instance a omis de constater la détention initiale illégale. Ensuite, elle a erré en droit en concluant que la fouille pour motif de sécurité était permise et que la fouille fortement intrusive qui a suivi l’était également. Enfin, la juge de première instance a omis de trancher la question à savoir si la destruction des éléments de preuve constituaient une violation de la Charte requérant réparation.

[57]        De plus, la juge n’a pas pris acte du fait que le policier Auger a justifié la fouille du véhicule tantôt pour des raisons de sécurité, tantôt pour découvrir des éléments de preuve reliés à la consommation de drogue, tantôt pour fins d’inventaire. La fouille d’inventaire a un objectif étranger aux préoccupations du droit criminel et les fruits de cette fouille sont obtenus en contravention de l’article 8 de la Charte, à moins qu’elle ne soit fondée en vertu de quelque pouvoir légal[44]. En conséquence, des fouilles d’inventaire ou dans le but de découvrir ou préserver des éléments de preuve ne sont pas permises incidemment à une détention pour fins d’enquête.

[58]        La juge a également omis de considérer que la durée de la fouille selon les témoignages des policiers Auger et Robbe ne concorde aucunement avec le reste de la preuve. En fait, on ne sait pas quand la fouille a débuté ni combien de temps elle a duré.

[59]        La situation en l’espèce présente de grandes similitudes avec l’affaire Harrison[45] où les policiers avaient intercepté un véhicule automobile sans motif de détention et y avait effectué une fouille illégale pour y découvrir des stupéfiants. Même si les violations ne sont pas délibérées, lorsque la détention initiale est sans motif justifiant l’interception et est suivie d’une fouille illégale sans lien avec l’arrestation, la violation est grave[46]. Un témoignage trompeur du policier en cour aggrave la violation[47]. Il s’agit d’un mépris flagrant des droits protégés par la Charte[48].

[60]        Bien qu’ils étaient justifiés d’enquêter l’appel 911 anonyme, les policiers ont dans la présente affaire commis des violations successives des droits constitutionnels de M. St-Germain. Il y a lieu de qualifier la violation selon les éléments de preuve. En ce qui concerne la découverte des seringues, la violation est grave et ce facteur milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. Quant à la découverte des sachets vides et du sachet contenant de la cocaïne, la fouille très intrusive et motivée par des raisons obscures est très grave et milite fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.

Incidence de la violation sur les droits de l’accusé

[61]        Le fait, noté par la juge de première instance, que les policiers ne savaient pas que M. St-Germain était propriétaire du véhicule automobile n’est pas une considération pertinente à la question de l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé.

[62]        La juge de première instance fait également un constat qui n’est pas conforme à l’enseignement des tribunaux supérieurs en écrivant que la détention pour fins d’enquête, qui a duré ici vingt-six (26) minutes, était relativement brève.

[63]        La détention pour fins d’enquête doit être brève[49]. Dans un contexte de détention pour fournir un échantillon d’haleine dans un appareil de détection approuvé tel que prévu à l’alinéa 254(2)b) du Code criminel, il a été jugé qu’un délai d’attente de quinze (15) minutes pour faire passer le test peut être justifié si le policier a des raisons de croire qu’une consommation récente pourrait fausser le test[50]. Des délais légèrement plus longs ont été jugés remplir le critère d’immédiateté dans le cas d’attente de disponibilité de l’appareil de détection approuvé ou si le policier doit s’occuper prioritairement d’autres aspects de l’enquête, mais un délai de trente (30) minutes en attente de l’appareil ne satisfait pas le critère d’immédiateté nécessaire à la justification de la suspension des droits constitutionnels[51].

[64]        La juge de première instance a cependant raison de souligner que l’expectative de vie privée de M. St-Germain était moindre que dans sa maison. Malgré cela, le fait pour un automobiliste d’être intercepté et fouillé sans justification a une incidence plus qu’anodine sur ses attentes légitimes en matière de liberté et de vie privée[52]. L’atteinte aux droits de l’accusé est grave[53].

[65]        Il est vrai qu’ici, M. St-Germain avait laissé la portière de son véhicule ouverte, ce qui ne peut que diminuer son attente en matière de vie privée concernant la fouille initiale. N’eût été de la destruction des seringues, ce facteur aurait milité en faveur de l’inclusion de ces éléments de preuve tel que l’avait déterminé la juge de première instance.

[66]        Cependant, malgré les explications des policiers, le policier Robbe a lui-même admis que la seringue souillée était une preuve fort pertinente pour relier ou non M. St-Germain aux symptômes constatés. Une expertise aurait pu être faite selon l’expert toxicologue Tremblay. L’obligation de divulgation de toute la preuve pertinente entraîne l’obligation de conservation de ces éléments par les policiers et leur destruction constitue une violation de l’article 7 de la Charte en l’absence d’explication raisonnable. Plus la preuve est pertinente, plus le degré de diligence attendu des policiers est élevé[54]. Les policiers ont détruit délibérément l’équivalent de l’arme du crime. Il s’agit d’une violation flagrante de l’article 7 de la Charte. L’utilisation de cette preuve par la juge de première instance comme si elle était incriminante sans possibilité de l’expertiser ne pouvait que rendre le procès inéquitable.

[67]        Quant au sachet de cocaïne qui n’a pas été détruit, sa découverte est le résultat de violations successives de la Charte qui ont eu une incidence grave sur les droits de M. St-Germain. Somme toute, ce facteur milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.

Intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond

[68]        Le Tribunal n’adhère pas à l’affirmation de la juge de première instance que M. St-Germain était dans un état tel qu’il représentait un danger ayant un poids important dans l’analyse de ce critère. La preuve est à l’effet que, suite à la passation des épreuves de coordination des mouvements, l’agente Ditulio avait à peine des motifs pour procéder à l’arrestation de M. St-Germain.

[69]        Par contre, comme l’a déterminé la juge de première instance, l’infraction reliée à la garde ou contrôle d’un véhicule avec les facultés affaiblies est grave. De plus, les éléments de preuve étaient fiables, pertinents, et nécessaires à la poursuite de sorte que le troisième critère milite en faveur de l’utilisation de cette preuve[55], mais pas aussi fortement que le suggère la juge de première instance.

Mise en balance des facteurs

[70]        Le Tribunal est d’accord avec la juge de première instance lorsqu’elle mentionne que le facteur important à considérer dans le dossier est la gravité de la conduite des policiers. Pour les raisons exposées plus haut, la conduite des policiers est décisive en l’espèce, mais pas dans le sens proposé par la juge de première instance. L’importance de respecter les normes prescrites par la Charte l’emporte sur le prix à payer par la société pour un acquittement[56].

[71]        Tout comme dans l’affaire Harrison, la mise en balance des facteurs milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve malgré l’intérêt élevé du public à ce que l’accusation soit jugée au fond compte tenu de la fiabilité des éléments de preuve, parce que l’incidence sur les droits de M. St-Germain était grave et l’inconduite éhontée et flagrante des policiers à l’égard des droits de M. St-Germain était très grave[57].

[…]

CONCLUSION

[76]        Les policiers ont commis des violations successives des droits de M. St-Germain protégés par la Charte. Une analyse raisonnable de la preuve en fonction de l’état du droit commande l’exclusion des éléments de preuve matérielle recueillis au cours de l’intervention policière.

[77]        La preuve admissible restante, soient les symptômes observés par les policiers, était insuffisante à leurs yeux pour justifier des motifs d’arrestation. Le témoignage de l’expert toxicologue, évalué en retirant les deux symptômes inadmissibles sur lesquels il était largement fondé, n’a pas de valeur probante en l’absence de la preuve matérielle. Aucun juge des faits ne pourrait raisonnablement rendre un verdict de culpabilité sur la seule base des symptômes observés. M. St-Germain doit être acquitté de l’infraction.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[78]        ACCUEILLE l’appel;

[79]        CASSE le verdict de culpabilité;

[80]        ACQUITTE M. St-Germain.