R. c. Paquin, 2017 QCCQ 464

La défense allègue que les deux échantillons d’haleine du requérant prélevés une fois rendu au poste de police n’ont pas été prélevés « dès qu’il a été matériellement possible de le faire », ayant pour effet de faire perdre à la poursuite le bénéfice de la présomption d’identité de l’alinéa 258.1(c) du Code criminel.

 

 

[53]      Dans une récente affaire[10], le juge Asselin de notre Cour a résumé l’état du droit ainsi :

[11]      L’alinéa 258(1)c) du Code criminel énonce que la preuve des résultats des analyses fait foi de façon concluante de l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction a été commise dans la mesure où certaines conditions sont satisfaites, notamment :

(ii) chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, les autres l’ayant été à des intervalles d’au moins quinze minutes,

[12]            Le Tribunal entend appliquer les principes juridiques énoncés par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts Singh et Vanderbruggen[11], et d’un jugement de la juge Charbonneau de la Cour supérieure du Québec, siégeant en appel, dans l’affaire Cyr c. La Reine[12].

[13]        Ces principes se résument ainsi :

▪  L’interprétation des mots « dès qu’il a été matériellement possible de le faire » ne signifie pas que le prélèvement soit fait aussitôt que possible;

▪  Les policiers doivent agir de manière raisonnable;

▪  Le Tribunal doit examiner la chaine complète des événements en ayant à l’esprit la limite de deux heures après la commission de l’infraction pour la prise du premier échantillon d’haleine[13];

▪  Enfin, la poursuite n’a pas à expliquer le délai dans le menu détail[14] [4].

[14]            Le Tribunal souligne que les délais entre l’arrestation et l’administration du premier test sont respectivement de 1 heure 21 minutes dans Singh, de 1 heure 12 minutes dans Vanderbruggen et de 51 minutes dans Cyr.

[54]      Les principes énoncés dans Vanderbruggen et Singh ont d’ailleurs été repris avec approbation par la Cour d’appel du Manitoba et la Cour d’appel de Saskatchewan[15] postérieurement au jugement rendu par le juge Asselin.

[55]      Le Tribunal fait sien ce résumé de l’état du droit applicable.

[…]

[56]      Les agents, tel qu’expliqué, étaient les seuls dans le secteur de St-Bruno cette nuit-là. On doit inférer qu’il était impraticable ou trop long de demander à des collègues de venir prendre la relève du remorquage sur place de façon à leur permettre de quitter les lieux immédiatement. Leur expérience de travail et leur connaissance du milieu doivent être prises en compte pour apprécier tant les démarches entreprises que celles qui ne se font pas.

[57]      Par ailleurs, ce remorquage était justifié. Le sens commun dicte déjà que l’on veut éviter que l’accusé, une fois libéré du poste, ne retourne à son véhicule et perpétue l’infraction. De plus, une autre réalité, cette fois légale, a été invoquée : on ne peut écarter que le véhicule soit saisi en plus d’être remorqué si les taux se révèlent être supérieurs à 160 mg d’alcool/100 ml de sang ou si l’accusé refuse de se soumettre aux prélèvements. L’endroit où se retrouve le véhicule une fois stationné n’est donc pas pertinent si on veut inférer qu’il aurait pu être laissé sur place en ne nuisant pas à la circulation ou en ne posant pas un danger sur la voie publique.

[58]      Quant à la remorqueuse, il est vrai que les agents ne se sont pas enquis au départ du délai à l’intérieur duquel une dépanneuse pourrait arriver rapidement, mais force est de constater qu’une fois l’appel logé après 1 h 27 suite à la mise en état d’arrestation du requérant, ils quittent les lieux à 1 h 57. On plaide donc ici un délai de 30 minutes comme étant celui imputable à l’attente de la remorqueuse.

[59]      Ce délai doit être tempéré. Même en envisageant le scénario parfait où la remorqueuse aurait été sur les lieux dans la minute, il n’en reste pas moins que les documents d’usage auraient dû être rédigés. La fouille accessoire de l’auto aussi. La légalité de ce genre de fouille est clairement reconnue. Il en va de même de la fouille d’inventaire et des vérifications de biens de valeur à l’intérieur du véhicule pour éviter des réclamations ultérieures du propriétaire. On aura compris ici que les deux fouilles se sont faites en même temps. Même si bien souvent cette dernière fouille résulte d’une directive interne des corps de police, elle découle ici du pouvoir de saisie du véhicule en vertu de la législation provinciale, lequel comprend le pouvoir implicite d’effectuer l’inventaire du contenu du véhicule. Plusieurs décisions illustrent ce pouvoir légal reconnu[16].

[60]      En somme, des délais inhérents, justifiés et légaux, sont toujours présents et doivent s’apprécier à l’intérieur du délai total qui ne peut être en conséquence de 30 minutes.

[61]      Cela dit, la jurisprudence enseigne que c’est l’ensemble des circonstances qui doit être analysé et non les scénarios alternatifs possibles.

[62]      La décision de Fenske traite d’ailleurs de ces réalités opérationnelles et des scénarios alternatifs que la défense aurait voulu être imposée à la poursuite :

[47]      This finding is in keeping with that of Taliano J in R v Samorodny (1993), 44 MVR (2d) 19, being that it is an unnecessary and unrealistic burden on the Crown to require that it disprove the practicality of other options merely on the basis that those options might have produced results more quickly (see para 33 herein).  When considering whether a breathalyzer test has been administered within a reasonably prompt time, it is important to keep in mind the purpose of these provisions, being “to expedite trials and aid in proof of the suspect’s blood-alcohol level,” such that they “should not be interpreted so as to require an exact accounting of every moment in the chronology.”  Further, “[t]hese provisions must be interpreted reasonably in a manner that is consistent with Parliament’s purpose in facilitating the use of this reliable evidence.”  (See para 27 herein.)

[63]      Ce délai de 30 minutes ne peut donc être abusif, inexpliqué ou déraisonnable dans les circonstances. Accepter les arguments du requérant serait de conclure que les prélèvements se fassent aussitôt que possible. Ce n‘est pas ce que la jurisprudence enseigne.

[64]      Les délais une fois rendus au poste de police n’ont pas été argumentés. Le Tribunal ajoute être satisfait que cette partie de la trame temporelle a été expliquée et que ce sont de toute façon des délais qui ici ne nécessitaient pas une preuve dans le menu détail à la minute près.

[65]      L’argument du délai d’attente de la remorqueuse n’est donc pas retenu. Ce moyen doit aussi échouer.

[66]      Il s’ensuit que la poursuite peut bénéficier de la présomption de l’art. 258(1) c) du Code criminel et que le résultat des deux prélèvements est admissible en preuve.