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Bresaw c. R., 2017 QCCA 1255

Le comportement post-infractionnel en ce qui a trait à la preuve d’intention spécifique

[41] L’appelant fait valoir que le juge a omis de mettre en garde le jury quant à la preuve de son comportement après le fait, plus particulièrement en ce qui a trait à la preuve de l’intention spécifique requise par l’accusation de meurtre.

[42] Les extraits pertinents des directives du juge sont les suivants :

En ce qui concerne la pertinence, les comportements postérieurs à l’infraction de monsieur Bresaw peuvent être pertinents quant à la question de troubles mentaux, de l’intention de tuer ou de la préméditation et du propos délibéré.

Pour la valeur probante, ces comportements peuvent vous aider à décider de la responsabilité pénale de Justin Bresaw, tout comme ils peuvent ne pas vous aider du tout ou un peu. C’est votre décision, vous devez le décider en référant à la logique, votre expérience humaine et votre bon sens.

Les inférences doivent être raisonnables et évaluées en référant aux explications offertes en preuve. La prudence est de mise lorsqu’on se réfère à des comportements postérieurs à l’infraction pour conclure à la culpabilité d’un accusé.

Je crois utile de vous identifier les différents comportements postdélictuels ainsi que les grandes lignes de la preuve qui s’y rapportent. Ses visites chez son père et chez son frère et les propos qu’il a tenus pourraient vous aider à comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouvait l’accusé.

[…]

Afin de décider si la poursuite a prouvé que Justin Bresaw avait l’une des intentions requises pour qu’il y ait meurtre, vous devez donc examiner tous les éléments de preuve, y compris la nature des lésions infligées ainsi que toute parole prononcée ou tout geste posé avant, pendant et après la mort des victimes.

[43] Face à ces directives, l’appelant invoque quelques arrêts qui selon lui permettent de démontrer pourquoi en l’occurrence les explications et la mise en garde (« La prudence est de mise… ») offertes par le juge de première instance étaient déficientes. Trois arrêts de la Cour suprême du Canada sont ici mis à contribution par l’appelant, R. c. Arcangioli[13], R. c. White[14] et R. c. White[15] (White 2011), ainsi qu’un arrêt de la Cour d’appel, Saucier c. R.[16] (Saucier). Je rappelle quel est le principe qu’illustrent ces jugements, en commençant par le dernier.

Le comportement après le fait visant à étayer une conclusion de conscience coupable peut ne pas être utile à la détermination du degré de culpabilité de l’accusé

[51] Dans l’arrêt White (2011), les juges de la Cour suprême sont unanimes sur certains points. La preuve du comportement postérieur à l’infraction n’est pas visée par une règle particulière. Elle soulève simplement une question de pertinence. Aussi n’est-il pas obligatoire que, dès qu’une telle preuve est administrée, l’expression « aucune valeur probante » figure dans les directives aux jurés. Cela dit, une telle preuve engendre parfois un risque de confusion. Le juge Rothstein le décrit en ces termes :

25. Le risque d’erreur de la part du jury est particulièrement élevé lorsque l’accusé a avoué une conduite criminelle connexe au crime dont il est accusé. La preuve du comportement postérieur à l’infraction visant à étayer une conclusion de « conscience de culpabilité » peut alors n’être que peu, sinon aucunement utile pour établir le degré de culpabilité de l’accusé.

Et la juge Charron, partageant là-dessus le point de vue du juge Binnie, auteur des motifs de dissidence, ajoute ce qui suit :

105. À l’instar du juge Binnie, j’estime que la preuve du comportement postérieur à l’infraction n’est assujettie à aucune règle spéciale. […]

106. Je partage également l’avis du juge Binnie selon lequel l’expérience a démontré que, dans certaines instances, les jurés attribuent une force probante injustifiée à certains types d’éléments de preuve, de sorte qu’ils doivent, au besoin, être mis en garde en conséquence. […]

107. J’estime en outre, comme le juge Binnie, que les conclusions tirées par un témoin à partir de sa propre observation de l’attitude de l’accusé peuvent fort bien appeler une mise en garde particulière ou faire l’objet d’une ordonnance d’exclusion conformément à ces principes. À titre d’exemple, le juge Binnie rappelle les procès tristement célèbres de Susan Nelles et de Guy Paul Morin, tous deux poursuivis pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Il signale à juste titre que la preuve faite contre chacune de ces deux personnes reposait en partie sur des inférences de culpabilité tirées de leur comportement équivoque après l’infraction.

[52] À la lumière de ces éclaircissements, j’estime que, dans le dossier du pourvoi, les directives du juge de première instance, dont j’ai déjà reproduit l’extrait pertinent au paragraphe [42] ci-dessus, étaient insuffisantes. Il aurait dû, en l’espèce, préciser que le comportement de l’appelant postérieur à l’infraction n’avait aucune pertinence pour déterminer le degré d’intention, et donc « le degré de culpabilité », de l’appelant. Cette preuve (le passage de l’appelant chez son frère et chez son père, puis sa fuite aux États-Unis) est compatible avec au moins trois, et peut-être quatre, des verdicts possibles identifiés dans ses directives et déjà énumérés au paragraphe [39] ci-dessus. L’ambiguïté qui en résulte engendre précisément le type de risque que le juge Rothstein identifiait dans ses motifs de l’arrêt White. Il fallait donc mettre le jury en garde contre une conclusion hâtive de préméditation, conclusion qui ici pourrait découler d’une confusion des genres.

[53] Loin d’avoir mis les jurés en garde contre ce risque de confusion, le juge s’est contenté de leur dire que, pour déterminer si l’appelant « avait l’une des intentions requises pour qu’il y ait meurtre », ils devaient examiner « toute parole prononcée ou tout geste posé avant, pendant et après la mort des victimes ». Je considère qu’il y a là une erreur de droit du type de celles que dénoncent les arrêts Arcangioli, Saucier et White (2011).

[54] Le ministère public invoque ici la disposition réparatrice, l’article 686 (1) b) (iii) du Code criminel. Je rappelle à ce sujet ce qu’écrivait le juge LeBel, auteur des motifs majoritaires, au paragraphe 35 de l’arrêt R. c. Van[21] :

La question essentielle reste de déterminer si, à première vue ou du fait de son incidence, l’erreur demeurait si mineure, si dépourvue de lien avec la question au coeur du procès, ou si manifestement dépourvue d’un effet préjudiciable qu’un juge ou un jury raisonnable n’aurait pas pu rendre un verdict différent si l’erreur n’avait pas été commise.

Comme je l’ai dit plus tôt, l’arrêt White (2011) a nuancé la portée de l’arrêt Arcangioli mais le principe de ce dernier arrêt demeure car le risque d’une confusion engendrée par une preuve de comportement postérieur à l’infraction est parfois très réel. En l’espèce, je considère qu’il l’était. Il me paraît impossible dans ces circonstances de dire qu’aucun jury raisonnable n’aurait pu rendre un verdict différent en l’absence de l’erreur déjà identifiée.

[55] J’en viens donc à la conclusion qu’il faut casser les verdicts de culpabilité et qu’un nouveau procès s’impose.

Voir aussi ici.