Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Dans le spectre de l’audition prévue à la Cour suprême du Canada le 13 octobre prochain (La Reine c. St-Onge-Lamoureux) visant à déterminer si les dispositions de la Loi C-2 sont constitutionnelles, je vous propose une série de trois articles : voici le deuxième.

J’ai traité dans mon article précédent de la « défense du dernier verre» qui peut être soulevée, dans certains cas, en réponse à une accusation de capacités affaiblies. Je vous propose maintenant d’analyser les dispositions de cette fameuse loi (communément appelé « Loi C-2 ») qui a mis en place un régime bien particulier, au grand désarroi de ceux qui font l’objet d’une accusation de capacités affaiblies!

Alors, cette loi est entrée en vigueur le 2 juillet 2008. On y trouve deux alinéas[1] qui viennent chambouler les dispositions relatives à la présomption d’identité. Je vous le rappelle cette présomption signifie que l’alcoolémie du prévenu au moment de la conduite correspondrait à celle enregistrée au moment de l’épreuve d’alcootest, c’est-à-dire plusieurs minutes après le moment où l’individu conduisait. Tel qu’expliqué dans mon premier article, cette présomption était réfutable, dans certains cas, en établissant que l’accusé était en phase d’absorption.

Cependant, selon la « nouvelle  Loi », la preuve selon laquelle l’alcoolémie de l’accusé au moment de la conduite ne pouvait être supérieure à 0.08 d’alcool à cause du métabolisme (i.e du phénomène d’absorption), doit dorénavant être accompagnée d’une preuve de mauvais fonctionnement de l’alcootest ou d’utilisation incorrecte de celui-ci. Conséquemment – et là est le problème – la très grande majorité de ceux dont le taux d’alcoolémie au moment de la conduite était beaucoup plus bas que lors du moment où ils ont passé l’alcootest (i.e au poste) risque d’échouer dans leurs efforts d’établir le mauvais fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’alcootest car, depuis l’arrivée de la nouvelle génération d’appareils, cette dernière preuve est quasi-impossible à établir. C’est ainsi pourquoi la « nouvelle Loi » semble contrevenir à la présomption d’innocence qui est enchâssée dans la Constitution à l’art. 11d) de la Charte.  

Pour mieux comprendre pourquoi, suivons le cas de M. Toulemonde dont j’ai parlé dans mon premier article :

Suite aux incidents, M. Toulemonde s’est fait accusé de capacités affaiblies. La preuve démontre que l’accusé a « soufflé » 0.09 et 0.10. Cependant, monsieur fait valoir, par l’entremise de son avocat et d’un expert chimiste, qu’il était scientifiquement impossible que son taux d’alcoolémie ait atteint 0.08 au moment où il conduisait. En effet, les taux ici tendent à démontrer que M. Toutlemonde était en phase d’absorption. Donc, n’eût été de l’adoption de la Loi C-2, il bénéficierait effectivement d’une excellente défense, ce qui est on ne peut plus juste ici! Cependant, depuis le 2 juillet 2008, même si une preuve scientifique démontre l’innocence de l’accusé, celui-ci sera déclaré coupable quand même vu son incapacité à démontrer que l’appareil qui a servi à mesurer son taux d’alcoolémie est défectueux.

Par conséquent, la présomption d’identité devient, en fait, quasi-irréfragable.  Alors, le juge, malgré son intime conviction que l’accusé avait un taux d’alcool inférieur au taux légal, devra néanmoins le condamner, car la preuve du mal fonctionnement de l’appareil n’aura pas été faite!

Le débat en Cour suprême du Canada

Compte tenu de l’importance des questions en litige, et des jugements contradictoires qui ont été rendus jusqu’à présent, la Cour suprême jugera, ce 13 octobre prochain, de la constitutionnalité de ce nouveau régime dans le dossier La Reine c. St-Onge-Lamoureux. Je viens tout juste de dire que le régime va à l’encontre de la présomption d’innocence. Le plus haut tribunal du pays conclura fort probablement en ce sens également. Le réel débat (entre autres) est celui à savoir si cette restriction est raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique (test de l’art. 1). Je vous explique très brièvement.

L’art. 1 de la Charte permet au gouvernement d’imposer légalement des limites raisonnables aux droits d’un individu (en l’occurrence la présomption d’innocence). Par exemple, et pour rester dans le domaine de l’alcool au volant, la Cour suprême a jugé que même si un contrôle routier (ici un « barrage ») constitue une violation au droit de ne pas être détenu arbitrairement (art. 9 de la Charte), cette violation est raisonnable et proportionnelle d’un point de vue sociétal (affaire R. c. Hufsky[2]).

À ce sujet, au moins quatre décisions ont été rendues en la matière par les tribunaux québécois de première instance jusqu’à présent. Trois d’entre elles sont particulièrement  « positives » pour les conducteurs : les juges Chapdelaine et St-Pierre rendent inopérantes certaines dispositions de la Loi C-2 alors que le juge Lortie va beaucoup plus loin et rend inopérante une grande partie de la loi. Cependant, la décision du juge Côté de la Cour du Québec ne rend aucune des dispositions de la nouvelle loi inopérante.

Voilà, c’est à suivre! Chose certaine, mon troisième article traitera du dossier La Reine c. St-Onge-Lamoureux. La cause sera entendue ce 13 octobre prochain, mais je ne peux savoir le moment exact de la décision.

 


[1] Art. 258(1)c) et d) C.cr.

[2] R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621.